Amazon nous balade en drone
le 9 janvier 2014
Le dimanche 1er décembre, sur la chaîne américaine CBS, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, dévoile un projet visant à faire livrer des petits colis (moins de 2,3 kg) en moins de 30 minutes après commande, par des drones pouvant agir dans un rayon de 16 km. Les appareils, mus par huit moteurs électriques à hélice, se déplaceront de façon autonome à l’aide d’un GPS.
Une vidéo de démonstration nous fait pénétrer dans un immense entrepôt. Un employé met un colis dans une boîte jaune qu’il pose sur un tapis roulant, au bout duquel la boîte est réceptionnée par un petit appareil muni d’hélices. Le drone s’envole par la porte ouverte du hangar. Nous le suivons au dessus d’un paysage de campagne puis il se pose sur la terrasse d’une maison, lâche la boîte jaune et redécolle. Un homme ouvre la porte fenêtre et vient récupérer le colis. Selon Bezos, ce projet pourrait être opérationnel d’ici 4 ou 5 ans.
Dès le lendemain, la presse française reprend l’information :
Les trois articles s’interrogent sur le réalisme du projet, notamment en ce qui concerne l’obtention des autorisations administratives nécessaires au survol du territoire des Etats-Unis. Mais aucun ne remet en cause la sincérité de l’annonce.
L’information est répercutée des centaines de fois sur internet. Sur Rue89, un article de la rubrique Zapnet conclut que :
Quand à Xavier de la Porte, que cette perspective « ravit » il voit bien quelques problèmes (le risque que le colis soit volé, le bruit…) mais il ajoute:
Dans ce concert, il faut passer la Manche pour trouver une vraie analyse critique… Un article du Guardian du 4 décembre, repris par Courrier international n’y va pas par quatre chemins :
Et d’ajouter:
Quelques éléments auraient pourtant pu mettre les journalistes français sur la voie. Diverses informations farfelues avaient déjà été jetées au cours de l’année 2013 sur le même thème : un projet de « burritos bomber » capable de parachuter des sandwichs dans votre jardin, un service de distribution de livres au bout d’un fil... Le 31 mars, La Poste annonçait qu'elle allait expérimenter des drones pour livrer la presse quotidienne aux particuliers, puis, dès le lendemain, avouait que ce n’était qu’un poisson d’avril ! Les concurrents d’Amazon n’ont pas attendu pour s’en donner à cœur joie après l’annonce de Bezos : Groupon a annoncé qu’il livrerait prochainement ses commandes par catapulte, tandis que Vente-Privée affirme travailler sur un projet de téléportation.
Plus sérieusement, la lecture du site Le Dronologue prouve qu’en matière d’applications civiles, le domaine dans lequel la technologie des drones progresse rapidement est celui des appareils de surveillance télépilotés (dirigés à distance par un être humain) pour l’agriculture, l’industrie, la cartographie et bien entendu la police/sécurité. A côté, les perspectives de développement des drones automatisés dans le domaine de la logistique apparaissent très hypothétiques.
Comme l’a indiqué le Guardian, l’information d’Amazon était bien un gros coup de pub à la veille du principal pic annuel d’activité pour les ventes en ligne. C’était aussi un contre feu allumé après une série de révélations sur les très mauvaises conditions de travail chez le géant américain :
Sans parler des débats croissants en Europe sur la nécessité de mettre en place des mesures « anti-Amazon » afin de contrer le dumping pratiqué par les sociétés de vente en ligne en matière de frais de port.
La ficelle est un peu grosse… Alors, pourquoi une telle crédulité ? Sans doute parce que les attentes vis-à-vis de la robotique sont immenses alors que, dans ce domaine, les avancées sont lentes. L’humanoïde bon à tout faire et la véritable « intelligence artificielle » restent, peut-être pour longtemps, du domaine de la science-fiction. La frustration est donc grande et nous sommes à l’affut de tout ce qui peut nous faire replonger :
Revenons sur terre. Jeff Bezos n’est pas un sympathique entrepreneur, passionné d’innovation et visionnaire. C’est le patron d’une société de vente à distance dont les outils sont un énorme serveur informatique, des entrepôts gigantesques, des salariés pressurisés et des camions de livraison. Une entreprise dont la stratégie est d’inonder le marché en tirant sur les prix, quitte à réduire ses marges au maximum, pour tuer toute concurrence.
En mettant en scène la quête de la satisfaction du consommateur et l’innovation excitante, Amazon détourne l'attention de ses vraies méthodes. Sommes-nous forcés de nous faire prendre ?